De l’ascension culinaire du beurre…
Pendant tout le Moyen Âge, le beurre n’est pas une graisse aristocratique mais plutôt un ingrédient pauvre, contrairement à la graisse de porc. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle, et surtout du XVIe siècle, qu’il fait une entrée remarquée dans les traités culinaires, témoins des pratiques de table des classes aisées. C’est en effet à ce moment-là que ce produit laitier d’origine animale est admis par l’Église pendant les périodes de carême et les jours maigres, c’est-à-dire les moments où le chrétien ne peut manger de viande. Résultat : aux XVIIe et XVIII siècles, le beurre et le lard sont les corps gras les plus employés, comme le constate l’historien Patrick Rambourg*. Au XIXe et pendant la plus grande partie du XXe siècles, le beurre devient même un symbole de distinction sociale et un produit incontournable de la gastronomie française, comme l’attestent plusieurs expressions populaires.
… à sa diabolisation…
Cet état de grâce se poursuit après les privations de Seconde Guerre mondiale : les Trente Glorieuses battent leur plein, le pouvoir d’achat explose et l’image corporelle valorise les formes. Toujours apprécié pour son goût et son onctuosité, le beurre confirme son statut de pilier de la cuisine bourgeoise. Dans les années 1970, pourtant, plusieurs facteurs contribuent à renverser cette image positive : la diabolisation des graisses, la vogue du « modèle méditerranéen », les nouvelles normes de la minceur et l’émergence des chefs de la « nouvelle cuisine ». Cette stigmatisation se voit renforcée par l’expression « beurre noir », qui n’est ni plus ni moins qu’un abus de langage : jamais, dans son histoire, le beurre noir n’a correspondu à du beurre brûlé, assure Patrick Rambourg ! Le beurre dit « noir » est en fait un beurre noisette auquel on ajoute des ingrédients qui le rendent plus foncé, comme des câpres et du vinaigre dans la sauce de la fameuse raie au beurre noir. Mais le mal est fait, d’autant plus que dans l’imaginaire des consommateurs occidentaux, le noir est attribué à la mort et au cancer, comme le rappelle le sociologue de l’alimentation Jean-Pierre Corbeau**.
… avant un retour à l’équilibre !
Mais que les gourmets se rassurent : aujourd’hui, le beurre a enfin retrouvé son statut de formidable exhausteur de goût et de compagnon de cuisine plein de ressources. Les chefs réintroduisent le beurre cru ou cuit dans leurs recettes, et, après quarante ans de polémiques sur les acides gras saturés, les études scientifiques ont montré que tous les acides gras contribuent au bon fonctionnement de l’organisme. Exit le dogme des bonnes et des mauvaises graisses, de la chasse au gras, de l’animal opposé au végétal ! On redécouvre aussi que le beurre n’est pas la plus grasse des matières grasses : 82 % contre 100 % pour l’huile. Pour couronner le tout, une étude scientifique menée par l’Institut Polytechnique LaSalle Beauvais démontre clairement que la cuisine au beurre ne présente pas de risque pour la santé, puisque le beurre est une matière grasse de cuisson idéale : lui-même indique comment l’utiliser sainement ! Il suffit d’avoir bon œil et d’attendre qu’il se colore en noisette. Si l’on souhaite prolonger la cuisson, on ajoute simplement quelques gouttes d’eau pour que le beurre délivre tous ses arômes sans jamais brûler.
Crédit photo : P.JAVELLE / CNIEL.