La plupart des fromages sont obtenus en faisant coaguler du lait, formant un caillé solide qui baigne dans un liquide blanchâtre, le lactosérum, également appelé petit-lait ou sérum. Or, ce dernier est traditionnellement utilisé, dans plusieurs régions de France, pour élaborer un fromage « secondaire ».
Un recyclage ingénieux
Dans sa passionnante Balade au pays des fromages (Quae, 2007), Jean Froc explique qu’autrefois, dans les zones montagneuses ou géographiquement isolées, il n’était pas question de jeter ou d’abandonner aux cochons le précieux lactosérum contenant des nutriments, en particulier des protéines ne passant pas toutes dans le caillé. Les paysans le récupéraient pour fabriquer un nouveau produit, parfois appelé « recuite », et pour cause : aujourd’hui encore, le lactosérum est chauffé, tel quel ou enrichi d’un autre produit laitier, et parfois additionné d’un acidifiant comme du vinaigre blanc. Au bout d’un certain temps, sous l’effet de la chaleur, les protéines s’agglomèrent et remontent à la surface du liquide (on dit qu’elles floculent). Il ne reste plus qu’à récupérer ces flocons blancs avec une écumoire et à les égoutter dans une faisselle ou une toile. Les procédés de fabrication connaissent des variations et des spécificités selon les régions et les producteurs, mais l’idée reste partout la même : profiter de la totalité des bienfaits du lait en élaborant un « fromage de lactosérum » avec le petit-lait.
Promenade gourmande en France
Il existe du fromage de lactosérum de vache, de chèvre ou de brebis, y compris à l’étranger. Par exemple, en Italie, le mot ricotta signifie… recuite ! En France, le plus célèbre est le brocciu corse, seul fromage de lactosérum protégé par une AOP. Du lait frais est ajouté au petit-lait, lui donnant une texture crémeuse incomparable. Il peut également être affiné (on parle alors de passu).
On trouve en Provence des brousses du même type, mais attention, la fameuse brousse du Rove n’est pas une recuite : elle est certes élaborée par floculation sous l’effet de la chaleur et du vinaigre, mais à partir de lait entier et non de lactosérum.
En Franche-Comté et dans les Alpes, le serra (Jura français) et le sérac (Savoie) affichent clairement leur généalogie, les deux mots étant issus du latin serum. On les fabrique avec le petit-lait issu de la production des fromages à pâte pressée cuite comme le comté ou le beaufort. Autrefois, ils étaient destinés aux paysans et aux ouvriers, alors que les fromages proprement dits étaient vendus ou réservés pour le fermage.
À noter que certaines recuites entrent dans la composition de recettes de cuisine réputées, tel le brocciu que l’on transforme volontiers en fiadone, ou la recuite de l’Aveyron (élaborée avec le petit-lait de brebis issu de la fabrication du pérail) qui se glisse dans un fameux gâteau local, la flaune.