Thérèse Libert : « Au rugby, il faut adapter l’alimentation au poste »
Publié le 18.10.2019 , mis à jour le 26.10.2022
Diététicienne du sport depuis plus de vingt ans, Thérèse Libert a suivi pendant de nombreuses années la formation de jeunes rugbymen au plus haut niveau. En marge de la Coupe du Monde, on a parlé alimentation pour ces champions en herbe.
Milk and move :Depuis quand évoluez-vous dans le milieu du sport ?
Thérèse Libert :Je suis diplômée en nutrition du sport depuis 1998. Je me suis occupée de rugby depuis 2005, à Marcoussis notamment où je faisais une évaluation des besoins nutritionnels des rugbymen du Pôle France. Ensuite je me suis occupée du suivi nutritionnel du pôle espoirs rugby à Lakanal jusqu’à l’année dernière. Ce sont de jeunes rugbymen de 15 à 18 ans.
Milk and move :Quelle différence y a t-il à faire le suivi nutritionnel d’un rugbymen en herbe, et celui d’une personne lambda ?
Thérèse Libert :Les besoins énergétiques ne sont pas les mêmes, car ils ont une activité physique très importante. Pour le reste, un jeune rugbyman de 15 ans fait les mêmes erreurs qu’une personne du même âge qui ne fait pas de sport. Il ne consomme pas assez de fruits et légumes, il y a pas mal de grignotage entre les repas, il mange pas mal de produits sucrés, il a tendance à manger plus que ce qu’il devrait, il ne s’hydrate pas assez…
Milk and move :On a tendance à penser qu’un rugbyman va consommer énormément de protéines. Est-ce vrai ?
Thérèse Libert :Effectivement, les morphologies ont changé. C’était différent il y a quelques années mais le rugby actuellement, ce sont beaucoup de morphologies différentes. Il y a de moins en moins de « gros », ils ont tous pris de la masse. Le rugby est un sport qui nécessite des qualités de puissance, et qui dit puissance dit forcément prise de masse musculaire. Depuis plusieurs années, je vois de plus en plus d’entraînement spécifique, avec pour but un développement de prise de masse musculaire. Il faut adapter l’alimentation, effectivement. Actuellement l’apport en protéines est supérieur à un sportif d’endurance, par exemple.
Milk and move :Ont-ils un régime strict durant la saison ?
Thérèse Libert :Rien n’est jamais strict, on donne des recommandations. Je viens régulièrement au pôle, je leur dis ce qu’ils devraient manger, mais après c’est à eux de le faire. Ils respectent relativement bien surtout lorsqu’ils veulent de la performance, notamment dans la prise de masse musculaire, ou de la perte de poids. Quand ils arrivent c’est différent, ils sont jeunes, ont des habitudes alimentaires qu’ils avaient en famille. Là on les met dans un centre de formation avec beaucoup de sport, il faut changer un peu leur alimentation, donc la première année est difficile. Mais entre la première et la troisième année, l’alimentation a totalement changé. Une mauvaise alimentation peut amener des blessures, et de la fatigue.
Thérèse Libert Diététicienne du sport depuis plus de vingt ans, diplômée en nutrition du sport depuis 1998Une mauvaise alimentation peut amener des blessures, et de la fatigue.
Milk and move :Pour une compétition comme la Coupe du Monde, y a t-il un changement à effectuer dans la nutrition, en comparaison à une saison régulière ?
Thérèse Libert :L’Equipe de France a une diététicienne attitrée, et les régimes sont respectés. Là c’est suivi, et ils ne mangent pas ce qu’ils veulent. Ça commence un peu avant, à Marcoussis où l’alimentation est cadrée, lors de la préparation. Quel que soit le type de sport, une préparation nutritionnelle pour un sportif, c’est évolutif, un protocole sur l’année.
Milk and move :Quelle forme va prendre cette alimentation ?
Thérèse Libert :Chez les personnes lambda on a une répartition de 50% de glucides, 12% de protéines et de 35 à 40% de lipides en général. Chez les rugbymen, comme on a tendance à les assimiler de plus en plus aux sports de force, on va augmenter le taux de protéines, et on va diminuer les lipides. En gros on aura 5% de glucides supplémentaires, peut-être 10% de lipides en moins, et on pourra atteindre 20% de protides. Après les séances de musculation, il y a généralement des collations protéinées.
Milk and move :Les protéines prennent une forme plutôt solide ou liquide ?
Thérèse Libert :Plutôt solide car ce sont quand même des gens qui aiment bien manger. Des produits laitiers, du pain, du jambon, on alterne. Les collations en question sont petites (20g de protéines en moyenne), l’apport glucidique associé est essentiel. Cela peut être un yaourt, une compote, du pain… En collation post-séance de musculation, on associe toujours 1g de protéine pour 2-3g de glucides.
Milk and move :Après la compétition, il y a une période de repos. Y a t-il un suivi ou on laisse le sportif livré à lui-même ?
Thérèse Libert :La récupération est très importante, et était un peu négligée par les sportifs avant. Le sportif fera attention à bien se réhydrater, apporter des sucres pour refaire les réserves de glycogène, et des protéines pour réparer les tissus abimés.
Milk and move :Enfin, quel conseil donnez-vous à un jeune rugbyman ?
Thérèse Libert :Le rugby est un sport d’équipe de contact. Les nombreuses heures d’entrainement et les impacts lors des matchs exposent à l’apparition de microlésions musculaires et osseuses. A cela se rajoutent certains facteurs comme une alimentation inadaptée (restriction énergétique, carence en calcium, en vitamine D, déshydratation), ou encore un manque de sommeil. Chez des jeunes joueurs, cela aboutit régulièrement à des blessures et des fractures de fatigue. Je lui conseillerai d’adapter l’alimentation à sa morphologie en prenant en compte les besoins énergétiques liés à sa pratique du rugby. Il doit apprendre à gérer son alimentation au quotidien, acquérir des bonnes habitudes. Au rugby, une alimentation adaptée ce sont des objectifs qu’il faut réajuster constamment en fonction de la période concernée : entrainement, avant match, récupération, arrêt pour blessure, ou intersaison.
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