Pour le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), le mot tomme désigne un « fromage au lait de chèvre, de brebis ou de vache, de forme circulaire, fabriqué en Savoie, en Provence et dans le Dauphiné », ainsi que « le nom du cantal ou du laguiole au premier stade de leur préparation ». Mais alors, pourquoi certaines tommes ne s’orthographient qu’avec un seul M, quand la plupart doublent la consonne ?
Tomme avec deux M
Dans le domaine du fromage, tomme et tome sont synonymes. En Savoie, notamment, tomme est le nom générique qui désigne des fromages en forme de disque. On dit qu’il en existe autant que de vallées savoyardes ! Pourtant, la tomme de Savoie IGP prend deux M, alors que la tome des Bauges AOP, elle aussi savoyarde, n’en a qu’un. En réalité, la grande majorité des tommes s’écrivent avec deux M, et seules quelques exceptions n’en ont qu’un (la plus célèbre est la tome des Bauges, mais c’est aussi le cas de la tome de la Brigue, de la tome de la Vésubie, de la tome des neiges La Mémée ou encore de la tome d’Arles).
Tome avec un M
Dans Balade au pays des fromages de Jean Froc (éd. Quae) et le Grand Larousse gastronomique, il est indiqué que la racine toma, d’origine prélatine, signifie « tomer », c’est-à-dire former le caillé. Quant au cahier des charges de la tome des Bauges, il indique que « le mot tome ou tomme aurait pour origine le terme toma, qui signifie en patois savoyard fromage fabriqué dans les alpages ». Quelle qu’elle soit, l’étymologie du mot semble ainsi plaider pour le M en solo et donc les vieux patois régionaux, mais l’avantage du doublon, c’est qu’il permet de distinguer la tomme fromagère du tome livresque et masculin (ceci étant, quand on lit « tome des Bauges », on se doute bien qu’il ne s’agit pas de la suite de Harry Potter !).
Le M unique de la tome des Bauges, un signe de distinction
L’orthographe de la tome des Bauges serait tout simplement le fruit d’une volonté de différenciation de la part de ses producteurs. Dans une thèse consacrée aux Bauges*, Marianne Palisse explique en effet que quand le beaufort obtient son AOC en 1968, les agriculteurs du massif des Bauges, qui se situe à la limite de la zone retenue pour l’AOC, fabriquent certes un gruyère de type beaufort, mais ne voient pas l’intérêt d’entrer dans l’appellation. Ils préfèrent continuer à développer la production d’emmental. Les fromages traditionnels sont alors marginalisés et seules quelques familles maintiennent la fabrication de la tomme traditionnelle. Ce fromage domestique et familial par excellence, nécessitant peu de lait, est alors encore considéré comme le « fromage du pauvre », contrairement aux grosses meules élaborées dans les fruitières.
Mais « les producteurs de tommes s’organisent entre eux pour survivre, écrit Marianne Palisse. Ils créent une SICA (Société d’Intérêt Collectif Agricole) et déposent en 1972 une marque “Tome des Bauges”. L’orthographe du mot “Tome” avec un seul “M” était présente dans certains documents anciens, mais il s’agit surtout de différencier la production baujue des tommes produites dans l’ensemble de la Savoie ». Plus tard, en 1986, un Syndicat Interprofessionnel de la Tome des Bauges est créé pour faire de la tome le produit phare du massif, aboutissant enfin à une AOC en 2002 puis une AOP en 2007. Voilà pourquoi la tome des Bauges AOP est le seul fromage de grande notoriété ayant choisi le camp du M unique !
*Les Bauges entre projets institutionnels et dynamiques locales : patrimoines, territoires et nouveaux lieux du politique, thèse de doctorat en sociologie et anthropologie présentée et soutenue par Marianne Palisse le 20 janvier 2006 sous la direction de M. Jean-Baptiste Martin, professeur à l’université Lumière-Lyon II.